15 septembre 2005

Chapitre 4 - Échouement

Chers amis et parents,

Je vous jure que je ne me suis pas ennuyé ces derniers temps. Il me semble que la vie s’est enrichie d’une foule de défis stimulants et s’est ouverte sur des perspectives toutes fraîches et prometteuses.

Ma vie a, en effet, pris un tournant radical il y a une dizaine de jours. C’était la nuit du 5 au 6 septembre. J’étais tranquille chez moi dans ma Bulle, comme d’habitude, quand on m’a donné sans préavis un ordre d’expulsion! Ce qui en outre n’était pas en règle, n’est-ce pas, puisque mon bail n’allait échoir qu’une semaine plus tard et que je m’apprêtais à le renouveler. Comme j’ai des relations dans les hautes sphères, j’ai réussi à obtenir une injonction pour suspendre les travaux de contraction. Mais ces gens-là ne respectent rien, vous pensez, alors les travaux ont repris de plus belle le lendemain soir sans que je n’y puisse rien. À 22h35, je suis passé à la Maison de naissance pour voir de quoi il en retournait. Les huissiers m’attendaient de pied ferme. Ça n’a pas traîné. À 1h04, au matin du 7, j’étais dehors.

Heureusement, mes Parents sont charitables et ils m’ont proposé de m’héberger dans leur appartement en attendant que je m’en trouve un. Ils m’ont dit que rien ne pressait, que je pouvais attendre encore quelques années, que je ne dérangeais pas. Mais je vois bien que je leur cause du trouble: la Grand-Mère maternelle a même décidé de rester en ville deux semaines pour faire les repas et tenir la maison (elle qui n’aime pas faire le ménage). Alors j’ai commencé à regarder les petites annonces du Devoir.

En attendant, j’ai reçu tout plein de visite: Grand-Mères, Grand-Pères et Oncles, venus exprimer leur sollicitude et m’offrir du linge (je n’avais pas eu le temps de rien prendre avec moi en quittant ma Bulle, et comme je dors tout nu, j’étais plutôt démuni).

Si vous me permettez de me vanter un peu, je vous dirai que ces dames se pâment devant l’esthétique de ma silhouette. Avec à peine une semaine sur le marché des célibataires, on me dit déjà sexy. Dans ses élans d’affection, une voisine, que ma beauté faisait saliver d’émotion, a même manqué se faire les dents sur mes épaules velues. Le Père, lui, dit que je suis cute quand je ne fais pas chier (j’en conclus que je suis cute 95% du temps).

Personne ne doute de mes capacités mentales, mais c’est surtout la complétude de ma constitution qui est pour l’heure appréciée: pour sûr, je vois et j’entends, ma motricité générale est excellente (d’aucuns voient en moi un athlète potentiel), la tuyauterie livre la marchandise (j’en mets partout et sur tout le monde, c’est vraiment embarrassant), et je ne suis pas muet.

Alors ça, question vocalises, on peut dire que j’ai fait mes preuves. Ce n’est pas que je sois particulièrement capricieux, mais il y a des choses que je ne supporte pas. Je pense ici aux mamelons courts. De manière général, je suis assez bien tombé en matière de maman: elle est patiente et compréhensive, elle me parle d’une belle voix douce, elle est jolie et elle sent bon. Mais il faut reconnaître qu’elle a le mamelon court (j’espère qu’elle ne le prend pas trop personnel). T’as beau t’enligner carré dessus et y donner du coeur, chaque fois t’es certain d’avoir loupé, et chaque fois tu constates en te retirant que t’avais pourtant mis dans le mille. Pis t’as faim pendant ce temps-là! Ça m’insulte assez, je deviens hors de moi. J’ai l’impression d’avoir été recruté dans une ligue de lutte de garage.

«Mesdames et messieurs, bonsoir! Le match de ce soir opposera encore une fois, pour le plus grand plaisir des spectateurs, Petit-Tétard et Gros-Téton.

— Gros-Téton, Richard, sait bien cacher son jeu, mais la prise du coyote de Petit-Tétard lui a permis jusqu’ici de conserver de justesse l’avantage sur son adversaire.

— Définitivement, Raymond. Il faudra voir si le match de ce soir ne renversera pas la tendance.»

Disons qu’à une douzaine de matchs par tranche de 24 heures, c’est fatiquant. C’en était au point que je perdais anormalement du poids. La sage-femme a pris pour nous un rendez-vous dans la clinique d’allaitement de l’hôpital juif, tout près de la Maison de naissance. Le médecin d’expérience qui nous a reçu m’a immédiatement qualifié de «tight tongue» (attendez seulement que j’en prenne, du poids, je vais lui apprendre le respect). Il a expliqué que des mamelons courts, ça va, et qu’une langue courte, ça passe encore, mais que les deux ensemble, c’est pas gagnant. Il a suffit d’un coup de ciseau dans le frein de ma langue pour corriger le problème. J’ai même pas pleuré pour vrai. Le Père était assez fier de moi, et la Mère, très soulagée. Impatient de tirer profit de ma nouvelle portée linguale, j’ai oublié toute pudeur et me suis laissé aller à une léchée goulue qui fit plaisir au docteur. On entendait ma déglutition jusque dans la salle d’attente. La voie est désormais toute pavée pour me ramener à un poids souhaitable. Je sens d’ailleurs les Parents beaucoup plus détendus.

C’était hier le premier hebdoversaire de ma nouvelle vie, à laquelle je commence à prendre sérieusement goût. Pour souligner ça, on est aller faire une virée dans le parc Jarry. Méchant party (j’ai dormi tout le long). Cette première fut suivie aujourd’hui de mon premier tour de char (si on exclut le départ de la Maison de naissance il y a une semaine). Et mon cordon ombilical est tombé cet après-midi comme une datte mûre. J’ai pensé que c’était peut-être un signe que cette île douillette sur laquelle j’ai échoué était maintenant, et pour longtemps, ma nouvelle maison.

1 Comments:

At 21/9/05 10:36, Anonymous Anonyme a dit...

Voici une petite anecdote amusante. Après la naissance de leur premier fils, les parents n'arrivaient pas à trouver un joli prénom à ce beau bébé qu'ils serraient dans leur bras. Un ami et collègue de travail du nouveau papa suggéra le prénom Hugo, ce qui fit rapidement l'unanimité. Mais voici que ce bébé est devenu à son tour papa d'un garçon qui porte le nom de Victor, ce même prénom de l'ami qui avait suggéré celui de Hugo ! Depuis qu'il est retourné travailler dans son Saguenay natal, les grands-parents paternels ont perdu de vue leur généreux ami Victor qui avait grandement participé aux travaux de construction de la maison familiale à St-Ferréol-les-Neiges. Il serait très heureux de savoir aujourd'hui que son prénom s'est perpétué dans cette belle petite famille Hardy-Fortin.

 

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