21 décembre 2005

Chapitre 7 - Le grand bond en avant

Chers amis et parents, collègues et patrons, honorables membres de l'Académie, Monsieur le Président,

Le temps passe si vite sous les ponts de la vie que j'ai le sentiment de n'être déjà plus la personne qui, pour votre plus grand bonheur, rédigeait il y a peu le précédent chapitre. Il semble que le développement d'une personne ne procède pas de manière continue, mais plutôt par petits bonds successifs. Des sauts qualitatifs projette en avant le petit d'homme dans l'ascension quantitative de son avancée en âge. Je suis devenu, en somme, soudainement plus éveillé, plus mature, plus dégourdi que jamais. Il faut vous dire, loyaux lecteurs, fidèles lectrices, que je peux me vanter d'avoir enfin passé, sans trop de mal, le fameux cap des trois mois. Je chigne le soir comme auparavant (quoiqu'avec moins de ferveur), mais au moins j'ai compensé avec une nette mise à jour de mes aptitudes psycho-motrices.

Il faut dire que depuis notre retour à Montréal, je suis un régime de vie très régulier qui n'a certainement pas nui à ma croissance personnelle. Les soirs, en particulier, obéissent à un rituel strict:

  • 6h45: on maîtrise mes velléités de geignard en me mettant au tapis à langer, et tandis que la Mère me dévêtit sans retenue, exhibant mon corps flambant, le Père fait couler un bon bain chaud pour l'y tremper;
  • 7h00: je clapote le temps de dire que je suis quand même un peu plus propre;
  • 7h03: à mes cris d'exaspération, on me sort de là, on me frictionne, on m'habille, et je me retiens tant bien que mal de critiquer le choix de mon pyjama;
  • 7h15: la Mère m'allaite;
  • 7h30: le Père m'emmaillote;
  • 7h45: je rends les armes, épuisé de fatigue, et on me laisse pour mort dans une couchette IKEA.
Une fois cette routine bien rodée, mes nuits se sont améliorées tout naturellement. Encore interrompues par deux ou trois boires, j'en fais désormais la plus grande partie en solitaire. Mon record sans escale à ce jour: neuf heures. À 4h15 ce matin-là (car on m'avait couché un peu plus tôt que de coutume), les Parents étaient très fiers de moi, mais je ne me berce pas d'illusion: ils risquent de ne pas se contenter longtemps de ce record.

Dernièrement, j'ai eu ma première visite chez le médecin, dans le CLSC de mon quartier. Je dois dire qu'on m'y a bien traité, et vite: j'ai pas eu le temps d'ôter mon habit de ski-doo que c'était déjà mon tour (je pense que les bébés y ont un traitement préférentiel). Bilan de l'examen: rien à signaler, sinon que je figure au 97e percentile de la moyenne nationale question taille. Donc seulement 3% des bébés nationaux moyens me dépassent. Après les ratés de ma première semaine de vie, je me suis bien rattrapé! Ma courbe de croissance a effectué un redressement vertigineux, presque vertical, qui a fait écarquiller des yeux mon médecin. Il paraît que les bébés nourris au sein ont leur grosse bourrée de croissance dans les trois premiers mois. Selon le médecin, compte tenu des gènes dont je suis le digne héritier, je risque fort d'être toujours dans les plus grands de ma classe. Ça tombe bien puisque je serai aussi l'un des plus jeunes.

Mon développement n'est pas que bêtement physique, évidemment. J'ai aussi plein de nouvelles aptitudes. Par exemple, je me suis mis un jour à me baver sur les poings, volontairement je veux dire; puis j'ai glissé vers le suçottement des doigts, avant de finir par le mâchouillement. J'ai d'ailleurs eu toute une période de mastication imaginaire. Je poursuis présentement une phase d'exploration des sons. J'ai beaucoup travaillé les aigus, et j'en ai gardé des exclamations de plaisir plus ou moins assourdissantes. J'ai aussi ajouté à mon vocabulaire les phonèmes «be», «aheu» et «bvvv» (le troisième, personne n'arrive à le reproduire). Quand je suis en forme, je peux tenir de grandes conversations avec le Père ou la Mère. Je peux également leur faire un sourire espiègle (vous pouvez le faire à la maison, c'est facile: il suffit de tourner légèrement la tête de côté mais sans quitter la personne des yeux). Je me cramponne de plus en plus à ce qui passe à ma portée: un bout de couverture, les bras d'une marionette, ou encore les pieds d'une super pomme éducative. J'ai même deux premiers jeux: «tiens, si c'est pas maman juste là dans le miroir» et «coucou! j'étais caché derrière la couverture».

Bon, c'est pas tout, ça, mais j'ai un avion à prendre. Je m'envole pour Gaspé (1h27 de transport à partir de Sainte-Foy, contre 14h en train!), où les Parents passeront Noël ensemble pour la première fois! En ces temps hypermodernes, j'aurai donc reçu mon baptême de l'air dès l'âge de trois mois et demi! Le seul baptême que je risque jamais de recevoir, d'ailleurs.

1 Comments:

At 22/12/05 19:47, Anonymous Anonyme a dit...

Victor,
J'aimerais savoir comment tu fais pour écrire de manière si géniale. On a l'impression de lire du Picasso, du Michel-Ange ou du Mozart. Mes yeux en sont émus à chaque fois. Je suis ta plus grande admiratrice. Ahhhhhhhhhh.... Je t'aiiiiiiiiiimmmmmmmmeeeeeeee Victor.

Anaïs Houle

 

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